JOURNAL DE BORD
TRANSPACIFIQUE
Des Galàpagos aux Marquises
Mercredi 17 avril 2013
6 H 00 - Le soleil pointe le bout de son nez à l’horizon. Marc plonge pour finir de retirer les coquillages collés sur les hélices et les prises d’eau des embases avant le grand départ. Ces petits parasites réduisent considérablement l’efficacité de la propulsion et du refroidissement des moteurs.
Il est tôt et le réveil est difficile après la journée d’hier, mais les rayons du soleil rasants se faisant déjà brillants, on est presque content d’être debout et de pouvoir admirer une dernière fois les rochers et les bateaux qui nous entourent sous cet angle de lumière unique et éphémère… sachant qu’on ne verra bientôt que de l’eau pendant presqu’un mois. Et puis, les fous et les otaries sont déjà en pleine activité autour du bateau. Ils plongent pour leur petit déj’. Seul leur style diffère. Les oiseaux nous survolent élégamment avant de se transformer en torpilles. Ils entrent dans l’eau dans un bref « plouf » et n’en ressortent qu’après cinq secondes, le gosier plein. Les otaries, elles, se prélassent sur le dos, nagent en se dandinant, regardent sous l’eau furtivement et ne plongent qu’en cas d’heureux hasard. Je les admire une dernière fois. Elles viennent flotter près de moi, l’air joueur. Elles sont vraiment excellentes. Je regrette de devoir les quitter...
8 H 00 - Nous rangeons les derniers achats de fruits et légumes dans leurs filets. Marc attache notre énorme régime de bananes encore vertes. Et nous quittons la baie d’Isabela au moteur… D’après les fichiers Grib (météo marine), les voiles ne nous seront d’aucun secours avant ce week-end.
8 H 30 - Marc met ses lignes à l’eau. Une demi-heure plus tard : un thon rouge mord à l’hameçon. Au menu du jour : sushis et makis californiens pour ce midi et thon mi-cuit au graines de sésames pour ce soir.
17 H 51 – Marc, qui est sur le fly, m’appelle : « Gaëlle, vient voir, une baleine !! »… Tout en appelant le reste de l’équipage, je choppe mon appareil photo et court sur le pont… « Oui ! là, un jet d’air ! » Puis, plus rien. On a beau regarder autour de nous, la mer est calme et rien ne bouge… Et, d’un coup, un gros bruit d’air expulsé me fait sursauter. Elle est derrière le bateau. Elle ressort à fleur d’eau par 2 fois et plonge en profondeur. Nous patientons sagement dans l’espoir de la revoir… Et elle réapparait de l’autre côté du bateau après quelques minutes… Le manège dure comme ça pendant ¾ d'heures, jusqu’à ce que le soleil orangé passe la ligne de l’horizon, nous suggérant ainsi de reprendre notre route.
Photo dédiée à Yaya, qui aurait tellement aimé croiser une baleine lors de la transat…
Jeudi 18 avril 2013
L’année scolaire touche à sa fin. Nous avons récemment réaménagé les cours de Tom de manière à n’avoir à travailler qu’en période de navigation. Depuis notre départ de Panama, nous préférons planifier les cours de la semaine sur 6 jours plutôt que 4, puisqu’en mer tous les jours se ressemblent. Ainsi, nous passons de 3 à 2 heures de CNED par jour. J’ai également modifié la fréquence des matières de façon à ce que les dernières évaluations soient toutes terminées en même temps, dès notre arrivée en Polynésie. Nous pourrons ainsi, profiter de cette destination tant attendue en toute quiétude. La fin des cours pourra être étalée avec davantage de souplesse, puisque nous n’aurons plus de délai à respecter quant à l’envoi des évaluations.
Vendredi 19 avril 2013
Puisque nous vivons en autarcie et au rythme du soleil, nous gérons le décalage horaire tout en douceur. Chaque jour, nous enlevons 10 minutes à nos montres.
Concernant les quarts, notre rythme est pris : je fais le premier jusqu’à environ 1 h30, Marc prend la relève jusque vers 5 heures et Iris prend le dernier. Elle gère le lever des enfants pour que nous puissions nous lever naturellement. En général, une sieste s’impose dans la journée.
Samedi 20 avril 2013
La vie en bateau a changé quelques-unes de nos habitudes. Le fait de n’approvisionner que toutes les 3 semaines, ajouté au plaisir de s’auto-suffire, nous pousse à fabriquer ce qui nous manque. Il faut dire aussi, que nous ne trouvons pas certains produits que nous affectionnons en bons gastronomes français, que nous sommes. C’est un peu chauvin mais on assume ! Ainsi, nous faisons nos pains et nos baguettes, qui nous rappellent avec plaisir la « Tradigraine » de notre boulanger préféré, puisque j’applique avec soin ses bons conseils et incorpore ses bonnes graines dans ma pâte. Les herbes aromatiques (persil, basilic, menthe…) sont toujours fraiches et à disposition dans nos jardinières. La charcuterie ? On oublie outre Atlantique, le jambon semble être du plastique ! Alors, pour agrémenter nos apéros, on fait sécher notre viande nous-même (ça ressemble à la viande de grison… Mmmh). Les produits laitiers, on en trouve un petit peu. Les yaourts sont vendus un par un, et coûtent cher. Alors, on les fabrique à l’ancienne. Pas besoin de yaourtière quand on a du soleil. Les noix de coco, on n’a qu’à se baisser pour les ramasser. On ne va quand-même pas s’en priver. C’est toujours sympa de croquer un bout de coco sur la plage mais on aime aussi en faire des gâteaux, des pina-colada ou encore des poissons à la tahitienne... Nous ouvrons la noix de coco pour en râper la chair. Marc la presse dans un linge pour en extraire le lait. Il est absolument divin… Incomparable avec le lait de coco que nous achetons en boite. La chair rappée se marie aussi à merveille avec le citron vert, l’ananas ou encore le chocolat pour en faire des gourmandises comme des muffins, des rochers ou des cookies. Comme vous l’aurez compris, le plaisir du voyage passe aussi par celui de nos papilles gustatives.
Dimanche 21 avril 2013
Nous avons rattrapé la trajectoire des alizés. Nous trouvons enfin le vent qui nous permet d’avancer correctement. La mer, peu agitée, nous laisse le loisir de vivre normalement à bord.
Iris s’essaie à la pêche à la traine. A peine Marc eut-il eu le temps de lui expliquer les réglages qu’elle sent une touche ! C’est une dorade coryphène qui nous assurera 2 repas. Elle la vide, l’écaille et lève les filets. Elle nous en prépare la moitié à la tahitienne/coco pour ce midi et on fera l’autre moitié, grillée et accompagnée de bananes plantain, pour ce soir.
Ce matin, j’ai retrouvé un petit calmar dans ma douche ! C’est le troisième échoué sur le bateau depuis le départ. C’est marrant, durant la transat, c’était des poissons volants qui atterrissaient sur nos coques.
A maintenant 1000 kilomètres de toute côte, nous voyons encore des oiseaux autour du bateau, étonnant !
Lundi 22 avril 2013
La journée a mal commencé. En voulant préparer des yaourts, je me suis retrouvée à éponger tout le lait qui s’était répandu sur le sol et contre les meubles… Et bien entendu, sous les meubles. Eh oui, c’est ça aussi les joies de la navigation. La mer vous balade un peu dans tous les sens. J’aurais dû attacher ma casserole sur la plaque, puisque le vent a forci...
Mardi 23 avril 2013
Ce matin, une baleine a « craché » son air juste devant notre étrave tribord, à 5 mètres du bateau. Marc m’a appelée, mais j’ai juste pu voir une grosse tache dans l’eau. Elle nous a rapidement distancés.
Notre cadence est convenable. Nous avançons à 7/8 nœuds de moyenne. Mais on espère que la force du vent va se maintenir car nous avons cassé deux de nos chariots de grand-voile, il s’agit des attaches de la grand-voile au mât. Nous sommes maintenant contraints de garder 2 ris dans la grand-voile. C’est-à-dire qu’elle est et restera réduite jusqu’à l’arrivée.
Mercredi 24 avril 2013
Pêche : une dorade coryphène
Séance bricolage : Marc « Gyver » change l’élastique d’un des deux chariots de grand-voile. Il démonte la partie cassée de l’autre chariot et la sort de la partie voile. Après l’avoir percée et équipée de cordelettes, il la rattache à la partie du mât avec l’aide d’Iris. Evidemment, l’exercice est beaucoup moins simple qu’il n’y parait, perché sur le mât et balancé au rythme de la houle.
Jeudi 25 avril 2013
Pour l’anniversaire de Marc, les garçons lui préparent une surprise. Tom crée une carte d’anniversaire sous forme de livre biographique et Loann dessine une série d’aventures avec des requins, des orques et des calamars géants. Pour ma part, je lui prépare son dessert préféré : des choux à la crème. Loann aurait aimé souffler les bougies lui–même, mais aucun des deux n’en aura eu l’occasion car le vent les aura devancés. Les enfants ont bien sûr profité de l’occasion pour mettre la musique à fond et danser comme des petits fous dans le cockpit, sur le lazy-boy qui leur servait d’estrade !
Vendredi 26 avril 2013
RAS. Les jours se ressemblent tous. Où qu’on soit, le train-train quotidien existe : cned pour Tom, activités éducatives pour Loann, lessives, faire de l’énergie et de l’eau, préparer les repas, faire la vaisselle…
Samedi 27 avril 2013
Nous nous trouvons, ce matin, au beau milieu de l’Océan Pacifique. Cela fait 10 jours que nous sommes en mer et, si les conditions sont stables jusqu’à l’arrivée, nous verrons apparaître les terres de la Polynésie d’ici 10 jours. Depuis cette nuit, une houle s’est formée. Elle n’est pas très haute, mais nous bouscule davantage. Se déplacer sans se tenir devient périlleux. Le vent oscille autour des 20 nœuds. Malgré une grand-voile réduite depuis 4 jours, nous conservons une vitesse moyenne de 6,5 nœuds.
Qui a dit qu’on ne pouvait pas manger de raclette, perdus, tous seuls, en maillots de bain, par 29°c, à des milliers de kilomètres de toute terre ?! On va se gêner !!
Dimanche 28 avril 2013
Aujourd’hui : pas de cned, cool !
La tendance est aux projets. On pense à notre retour en France, qui approche et qu’il nous faut commencer à préparer. On fait des plans sur la comète. On estime, on calcule, on imagine… Plans professionnels, retour à l’école, vente du bateau, acquisition d’une maison…
Lundi 29 avril 2013
Le vent a tendance à ramollir… Pfff !
Mardi 30 avril 2013
Cela fait deux semaines que nous sommes en mer… Ca commence à faire long. On a tous envie d’arriver… Avec un peu de chance, on y sera dans une semaine.
Mercredi 1er mai 2013
Triste temps sur l’océan. L’horizon est tout gris à 360° autour de nous. Nous sommes réveillés au lever du jour par un grain. Il s’agit d’une zone de plusieurs kilomètres occupée par un nuage gigantesque en forme d’enclume pouvant atteindre quelques milliers de mètres de haut. Ce monstre, appelé cumulonimbus, est provoqué par la rencontre de masses d’air qui s’opposent : conditions chaudes et humides près de la surface, mais plus froides et sèches en altitude. La condensation cumulée ainsi formée devient trop pesante pour le courant ascendant et retombe, en quelque sorte comme une avalanche d’air et de pluie qui entraine de violentes turbulences atmosphériques. Concrètement, le grain provoque un vent désorienté (de 45 à 90°), violent (augmenté de 15 nœuds) et spontané accompagné d’une belle et longue averse. Evidemment, dans ce cas-là, le pilote automatique a tendance à démissionner (l’a rien dans les biscotos, c’ui-la !). On se retrouve donc à tenir la barre sous la pluie comme un pauv’malheureux pendant une demi-heure à une heure. L’incident se reproduira plusieurs fois, jusque tard dans la nuit. Voici donc la plus « belle » journée de notre traversée.
Jeudi 2 mai 2013
La mer s’est calmée et le soleil est revenu.
« Tzzz…zzz… » Le moulinet nous siffle à la rescousse pour remonter la proie qui a mordu au bout de sa ligne ! Le poisson est costaud et se bat pour retrouver sa liberté. Marc rame pour le ramener tout en douceur en veillant à ne pas casser le fil. Il s’agit d’un beau thon dodu de 13 kg.
Vendredi 3 mai 2013
Le vent tombe complètement ! On peut ranger nos voiles et allumer les moteurs…
Samedi 4 mai 2013
Certes le paysage est assez épuré et répétitif, en pleine océan, malgré les différents états de la mer. En revanche, chaque soir, le soleil nous honore de son coucher spectaculaire utilisant les nuages comme de nouveaux costumes.
Inlassablement et sans complexe, la lune prend alors le relais et entre en scène en utilisant, comme projecteur, les rayons puissants de son concurrent pour nous épater.
Bien plus humbles, les étoiles restées en coulisses, brillent à leur tour investissant l’immensité du ciel noir, lorsque les 2 autres « stars » vont se montrer ailleurs…
Dimanche 5 mai 2013
Le vent nous a vraiment abandonné. La mer est plate. Il fait une chaleur écrasante. Et toute cette eau autour de nous… sans pouvoir en profiter… Mais pourquoi pas ?? Les conditions sont favorables. Tiens, d’ailleurs, la mer fait quelle température ? Whouah 30,2°c ! Impossible d’y résister. Les conditions sont sans danger. On éteint le moteur et on accroche une corde flottante à l’arrière de Coco d’îles qui n’est plus qu’un radeau sans ère. Le silence se fait entendre. L’eau est délicieuse. La sensation de se baigner dans le « Grand Bleu » est euphorisante. Nous nous sentons minuscules à la surface de cette immensité impressionnante. Les rayons du soleil pénètrent dans l’eau translucide. Nous pouvons voir nos pieds très nettement. Et après nos pieds ? Le bleu à perte de vue. Il est superbe, parfait et sans limite. Intérieurement, nous ne pouvons nous empêcher de penser au seigneur de ces lieux. Et le fait de ne pouvoir voir derrière ce bleu profond nous impressionne sérieusement. Une vraie expérience !
Lundi 6 mai 2013
Nous réitérons la baignade au cul du bateau. Le passage d’une méduse écourte et gâche notre béatitude… Iris, Loann et moi en avons subi la brûlure. Et le pauvre petit bout en gardera une belle trace boursouflée pendant plusieurs jours.
Mardi 7 mai 2013
Petit matin. Le démarrage du moteur bâbord (1 mètre derrière la cloison de notre cabine) me sort de mon sommeil. Je réalise quelques minutes plus tard, encore somnolente, qu’il est resté au ralenti. Je comprends… Nous arrivons au mouillage… Je bondis pour ouvrir les rideaux… Quel choc ! Terre !!! A quelques mètres seulement ! Après 3 semaines au milieu de l’eau à perte de vue, les images de ces montagnes, cette végétation luxuriante, ces bateaux, me boulversent. Après mon quart, cette nuit, je n’ai pas vraiment réalisé qu’on serait arrivé à mon réveil. Deux sentiments s’opposent dans mon cœur : le fort regret de n’avoir pas demandé à Marc de me réveiller à la vue des terres à l’horizon et l’émerveillement devant ce décor qui dépasse toutes mes attentes. Finalement, la surprise n’en a été que plus belle ! « Mille sabords ! C’est pas vrai, on est en Polynésie !!!!!!! »
Les yeux encore mi-clos, je sors rapidement retrouver Marc et les enfants sur le fly. Et comme si mon cœur n’était pas encore assez ébranlé, alors que j’ai encore du mal à réaliser, je vois Cerise et Jo, sur le pont de leur bateau, avec leurs enfants… Tous là pour nous accueillir ! Quel plaisir de les retrouver !
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